Sociologie 3/03/08

2. Une fragilisation des liens familiaux ?

 

2.1. La famille contemporaine : une famille relationnelle

 

François de Singly se veut « le » grand patron de la sociologie de la famille, a beaucoup travaillé sur les relations entre conjoints et entre parents et enfants : il a travaillé sur ce que l'on appelle la famille nucléaire, qui se réduit donc aux deux parents et aux enfants.

 

Selon lui, les transformations que l'on constate dans la famille contemporaine sont dues à une double mutation, c'est à dire que dorénavant ce qui importe dans les relations familiales, c'est l'affectif, et ce qui caractérise les membres de la famille, c'est leur désir d'autonomie, malgré l'union et malgré l'institution. Cela amène De Singly à dire que la famille contemporaine est une famille relationnelle, puisque les individus qui composent la famille sont plus que jamais attachées à la qualité des relations interpersonnelles. On assisterait donc à un processus de psychologisation des relations : c'est à dire que les relations entre les membres de la famille nucléaire se personnalisent.

 

L'autre grand changement, depuis les années 60, est la recherche d'autonomie, et cette autonomie est constatée dans les liens que la famille nucléaire entretient avec la parenté élargie. On a donc, du côté du couple, une revendication d'autonomie par rapport à la parenté, et un soucis du « chacun chez soi », en signifiant que même si, évidemment, les relations de parenté subsistent, la dépendance entre les générations est dorénavant fortement dévalorisée, et la parenté, selon De Singly, connaîtrait une phase de déclin.

 

De Singly s'intéresse aussi aux couples : selon lui au sein du couple on peut constituer une typologie, c'est à dire qu'il y aurait deux grands types de fonctionnement dans le couple : un fonctionnement sur la fusion et un fonctionnement sur l'autonomie. De Singly montre qu'il existe un lien entre le mode de fonctionnement d'un couple et les classes sociales.

 

Pour les individus appartenant aux classes supérieures et classes moyennes, le mariage ou l'union n'est qu'un élément parmi d'autres de la définition de leur identité, ce qui fait que les conjoints, appartenant aux classes moyennes et classes supérieures, privilégient davantage l'autonomie, parce qu'ils peuvent circuler dans d'autres espaces où ils sont reconnus, et notamment dans la sphère du travail.

 

Par contre, du côté des familles de classes moins populaires, on constate que l'institution familiale est une protection, contre la société globale et contre les difficultés de la société. Ce qui fait que dans les classes moins favorisées des classes populaires le groupe conjugal devient un espace central de reconnaissance de l'identité.

 

Dans les familles contemporaines, ceux qui optent pour l'autonomie fonctionnent d'une manière particulière dans la mesure où ils partagent dans le couple des zones communes et ils préservent des zones personnelles. Ce qui change, par rapport à l'autonomie, ce n'est pas l'accroissement des zones ou des territoires personnels, mais plutôt les justifications de l'existence de ces territoires. Les modifications portent sur les manières dont les pratiques personnelles sont justifiées, revendiquées, et malgré l'union de deux individus, pour avoir droit à un territoire personnel chacun des conjoints doit montrer à l'autre, doit prouver à l'autre que c'est un droit non négociable ; il permet à chacun des conjoints de continuer à se construire lui-même. Ce que De Singly appelle le maintien de la zone protégée, ce n'est pas un moyen pour les conjoints d'éviter son partenaire, de fuir son couple, mais de rester autonome tout en étant en couple. Cet équilibre entre union et autonomie est effectivement difficile à trouver et à négocier, à revendiquer, et c'est l'une des causes de rupture.

 

Dorénavant les membres du couple revendiquent un territoire personnel tout en maintenant une zone commune, et il y a un désir de rester soi-même au sein de la vie familiale. La question qui peut se poser alors est la suivante : le maintien de l'autonomie malgré la famille est-il un problème ou une avancée sociale ?

 

Sans nier les problèmes, il faut regarder ce qui s'est passé dans les relations parents-enfants. Il est clair que l'époque des familles nombreuses est révolue. L'enfant aujourd'hui est voulu comme un prolongement du couple, et ce qui importe c'est de réussir la socialisation de son enfant ou de ses enfants, réussir à intégrer son enfant dans les différents cercles auxquels il appartient, notamment dans l'école et le travail. C'est en même temps, étant donné la situation sociale actuelle, être capable de leur apprendre le plus vite possible (sans doute trop vite) l'autonomie pour qu'ils deviennent des adultes responsables de leurs choix, parce que la société actuelle oblige et contraint les individus à faire des choix perpétuels (celui qui est incapable de choisir sera donc incapable de s'intégrer dans la société contemporaine).

 

Cela signifie que la famille contemporaine continue, malgré tout ce que l'on entend, à transmettre des valeurs pour atteindre des idéaux collectifs, et pour que les enfants, qui seront les adultes de demain puissent vivre et survivre dans la société qui les attend. Plutôt que de dire qu'il y a un problème de socialisation, ce qu'il faut regarder et constater, c'est que les familles contemporaines ne peuvent plus socialiser leurs enfants comme autrefois, parce que aujourd'hui, ce que les parents doivent apporter aux enfants, c'est une capacité à accumuler un capital scolaire (et non plus un simple patrimoine comme ça a pu l'être autrefois). Ces familles sont contraintes de modifier leur jeu, pour offrir à leurs enfants des chances d'occuper des positions comparables à celles détenues par leurs parents.

 

Nous sommes dans une société où le mode de reproduction est à composante scolaire, et il est clair que la valeur d'une famille est aujourd'hui définie non plus par l'ampleur du patrimoine économique mais par le montant du capital scolaire détenu par l'ensemble des membres de la famille. Les familles qui ne parviennent pas à donner ces chances là à leurs enfants sont, sans doute beaucoup trop vite, stigmatisées, et on parle dans ce cas là de l'écehc de l'éducation familiale.

 

Selon De Singly trois principales caractéristiques de la famille sont à retenir :

  • la famille contemporaine est une tentative pour les conjoints d'arriver à une égalité entre l'homme et la femme au sein du couple. Mais ce qui est aboli désormais c'est la puissance paternelle

  • désormais on distingue au sein des couples les enjeux propres au couple, c'est à dire que la femme au sein du couple, même si elle devient mère, continue d'être une femme et de vouloir rester une femme.

  • le couple se trouve de plus en plus responsable de sa temporalité, et depuis 1975, avec le divorce par consentement mutuel, la société française reconnaît et accepte qu'il appartient désormais au couple lui-même de décider de sa réussite ou de son échec.

 

De Singly s'intéresse donc à la transformation du lien de conjugalité, et ce sur quoi il insiste, c'est que les individus aujourd'hui sont face à de nouvelles libertés, qu'ils vont affronter et gérer plus ou moins difficilement, en tout cas ils sont confrontés à de nouvelles interrogations et tout ce qui s'offre aux couples aujourd'hui fait que l'on est obligé d'admettre que la signification sociale de la famille a changé, et dans ce contexte-là le mariage, l'union entre deux individus, est en train d'être redéfinie, et cette redéfinition de l'union tente de se faire en accord avec les valeurs de libertés individuelles, et les valeurs d'égalité des sexes.

 

Le véritable enjeu aujourd'hui est donc de concilier la vie en couple et la liberté, l'égalité des individus au sein du couple, et cette conciliation entre union et liberté, on peut dire que l'institution familiale, face à ces nouveaux enjeux, est une institution qui ne s'en sort pas trop mal.

 

2.2. Les familles recomposées : formes familiales inédites

 

I. Théry s'est intéressée à ces familles recomposées. C'est dans ces familles-là, selon elle, que sont en train de se redéfinir les liens de filiation et les liens de parenté. Elle montre que depuis une vingtaine d'années la justice soutient et encourage, en cas de rupture, le modèle qu'elle appelle modèle du divorce pacifique et constructif. Elle montre que le divorce n'est envisagé que comme la séparation du couple conjugal mais, et c'est sans doute une nouveauté, le couple parental doit, dans la mesure du possible, rester indissoluble, avec l'idée que les parents, même séparés, doivent s'entendre sur un objectif commun qui ne peut être que l'intérêt de l'enfant. L'idée est de dire que la famille doit survivre au divorce.

 

Cette évolution (qui est aussi une évolution du droit), marque le passage d'une logique à une autre, dans la vision du divorce, c'est à dire que dans la logique antérieure, qui était appelée logique de la substitution, la seconde famille, la famille recomposée après divorce, avait tendance à effacer la première, et on avait tendance à considérer que le parent social devenait le vrai parent de l'enfant. La logique récente est une logique de la pérennité de la famille d'origine, c'est à dire que dorénavant le beau-parent n'a plus à prendre la place du parent, et le lien de filiation devient indissoluble.

 

Il peut y avoir dans les faits fragilisation des liens de filiation en cas de divorce ou de rupture, mais le droit, en tout cas en France, est venu atténuer cette fragilisation qui reconnaît l'indissolubilité du lien familial.

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