Droit civil 7/02/08

PARTIE 2 : LE DROIT DES BIENS

Chapitre Préliminaire : La notion de bien

Dans un premier sens, le plus ordinaire, le mot bien désigne les choses qui servent à l'usage de l'Homme et qui permettent à celui-ci de satisfaire à ses besoins , soit directement en se servant d'elles, en recueillant leurs fruits ou en les détruisant, soit indirectement en les échangeant contre d'autres choses. On parle aussi dans cette perspective d'objets ou de choses corporelles.

Dans un deuxième sens, le mot bien désigne les droits eux-mêmes qui portent sur ces choses. On parle alors de biens incorporels. Un troisième sens permet d'entendre par « bien », outre les choses et les droits portant sur celles-ci, les droits de créance dont une personne est titulaire à l'égard d'une autre. Les droits personnels font partie du patrimoine. Les deux premiers sens du mot bien apparaissent à la lecture du titre du livre 2 du code civil : « des biens et des différents modifications de la propriété ».

Section 1 : Les biens corporels (les choses)

I. Distinction des meubles et des immeubles

A/ Principe

Les immeubles sont les choses dont la situation est fixe, qui ne peuvent être transportés d'un lieu à un autre sans être altérés. On parle à ce propos d'immeubles par nature. Entrent dans cette catégorie : les fonds de terre, les végétaux tant qu'ils adhèrent au sol, et les constructions fixées au sol (articles 518 à 520 du code civil).

A l'inverse, les meubles sont les choses qui peuvent se transporter elles-mêmes (exemple type : les animaux), ou être transportées d'un lieu à un autre (article 528). On parle à ce propos de meubles par nature. Cette catégorie comprend beaucoup d'autres choses que ce que l'on appelle « meubles » dans le langage courant. Les meubles du langage courant sont en réalité les meubles meublants du droit de l'article 534.

La catégorie juridique des meubles est vaste : elle accueille des biens que l'on pourrait même hésiter à qualifier de chose : c'est le cas notamment des fluides et des ondes (eau, gaz, électricité...). Par ailleurs, des choses initialement classées comme immeubles deviennent meubles une fois détachées du sol (et qui peuvent donc être déplacées) : le tronc d'un arbre coupé, les matériaux de démolition d'une maison, la terre elle-même. Il n'y a qu'un seul immeuble qui ne peut devenir meuble : le sol.

Le critère physique de distinction explique certaines différences de régime juridique entre les meubles et les immeubles : grâce à la fixité des immeubles, on peut déterminer d'après leur siège (leur lieu de situation), la compétence du tribunal ayant à connaître des litiges les concernant. Il est encore possible de localiser une publicité des aliénations dont il fait l'objet. Ces solutions sont inapplicables aux meubles, qui ont vocation à être déplacés.

B/ Les tempéraments

  1. Immeubles par destination

Ce sont des meubles par nature auxquels la loi attache fictivement un caractère immobilier, parce qu'ils sont l'accessoire d'un immeuble. On opère une distinction entre l'immobilisation par destination et celle par incorporation. Le meuble, devenu immeuble par destination, demeure en réalité un meuble. Son caractère immobilier est totalement fictif : il n'a pas perdu son individualité. Au contraire, après incorporation, il n'y a plus de meuble : la pierre qui sert à construire le mur perd son individualité : il n'y a plus de meuble, il n'y a plus de pierre, il y a un mur, immeuble, en pierre.

a. Conditions de l'immobilisation par destination

La première condition : il faut que la personne qui l'opère soit à la fois propriétaire du meuble et de l'immeuble. En conséquence le titulaire d'un bail rural, un locataire, ne réalise jamais une immobilisation par destination dans l'immeuble loué.

L'immobilisation par destination résulte de l'affectation d'un meuble au service de l'immeuble, ce qui veut dire que le meuble est utilisé pour l'exploitation de l'immeuble ou augmente l'agrément de celui-ci. Le rapport de destination entre le meuble et l'immeuble est établi par le propriétaire des choses. Ce lien peut être purement intellectuel : c'est l'intention du propriétaire s'il est conforme à la nature des choses (exemple : les animaux installés sur un domaine rural, article 522). Ce lien peut aussi se manifester par un aménagement spécia de l'immeuble : les statues, qui seraient posées dans des niches faites pour les recevoir (article 525 in fine). Ce lien doit même quelque fois être réalisé par une fixation matérielle (article 525 alinéa 3).

b. Les différentes sortes d'immeubles par destination

b1. Les choses affectées au service ou à l'exploitation d'un fond

L'article 524 vise les objets que le propriétaire d'un fond y a placé pour le service et l'exploitation de ce fond.

Le bien doit servir au fond lui-même et non au propriétaire. La jurisprudence exige encore que le meuble, objet de l'affectation, soit également nécessaire et même indispensable à l'exploitation de ce fond.

Il existe quatre formes d'affectations :

  • l'affectation agricole : en application de l'article 524, sont considérés comme immeubles les animaux attachés à la culture, le matériel agricole, les semences et les animaux vivant à l'état libre sur le fond.

  • l'affectation industrielle : l'article 524 vise les ustensiles nécessaires à l'exploitation des forges, papeteries et autres usines. Sont immeubles par destination toutes les choses qui servent à l'exploitation de l'industrie et à la fabrication de ses produits.

  • l'affectation commerciale : par analogie à l'article 524, peuvent être immeubles par destination, dans une maison de commerce exploitée par le propriétaire de l'immeuble, les objets servant à l'exploitation du fond de commerce (caisse enregistreuse, balance...).

  • l'affectation aux services particuliers d'une maison : l'immobilisation doit être étendue à l'utilisation des immeubles pour d'autres usages, mais toujours à la condition que les objets placés par le propriétaire soient nécessaires au service de cet immeuble. On peut admettre qu'il en est ainsi pour les objets servant à l'exploitation d'une maison (la cabine de douche, la baignoire, les volets, etc.).

b2. Les choses attachées au fond à perpétuelle demeure

Tous les meubles que le propriétaire attache au fond à perpétuelle demeure, deviennent immeubles par destination, sans qu'il soit nécessaire que le meuble présente une utilité pour l'immeuble. L'intention du propriétaire doit se traduire par une attache au fond, qui se manifeste, selon la jurisprudence, par des faits matériels d'adhérence apparente et durable (arrêt de 1950).

L'article 525 précise les procédés d'attache qui font présumer l'intention du propriétaire : le scellement au plâtre, etc.

c ) Effets de l'immobilisation par destination

Le meuble, par effet de la fiction légale, sera régi par le statut de l'immeuble auquel il est affecté ou attaché. Il est vendu ou saisi avec lui. Attention cependant : la nature mobilière de l'immeuble par destination peut reparaître en certaines occasions, par exemple pour l'application du privilège du vendeur de meubles.

2) Le meuble par anticipation

C'est l'hypothèse selon laquelle un bien, actuellement immobilier, peut revêtir un caractère mobilier en raison de la manière dont il est considéré, manière qui ne tient pas compte de sa forme actuelle mais de sa forme future. Par exemple, les parties qui veulent conclure un contrat de vente de récolte sur pied : le but poursuivi par les parties est leur séparation du sol. La vente sera donc faite selon les règles d'une vente de meubles.

Cette catégorie vise, outre les récoltes sur pied, les arbres vendus pour être abattus, les matériaux à extraire d'une mine ou d'une carrière, ou encore les bâtiments vendus en vue de leur démolition.

II. Distinctions complémentaires

A/ Classification selon l'appropriation

On distingue les choses pouvant être l'objet de droits, que l'on appelle encore les choses « dans le commerce juridique » (on peut faire des conventions sur ces choses), des choses dites hors commerce soit par nature (hors d'atteinte de l'homme) soit par l'effet de la loi (par exemple les choses qui relèvent du domaine public).

La plupart des choses dans le commerce juridique sont l'objet d'un droit de propriété, mais il existe des choses non appropriées que l'on appelle encore des choses sans maître.

1) Les choses communes

Il s'agit de l'air, de l'eau de mer et des différentes eaux courantes. Elles n'appartiennent à personne parce qu'il faut que l'usage en soit commun à tous (article 714 alinéa 1). Pour autant, ces choses communes peuvent faire l'objet d'appropriations privées : par exemple l'air est susceptible d'appropriation sous certaines formes (air liquide par exemple). De la même manière, on peut puiser dans l'eau de mer ou en extraire le sel. Ces choses communes ont la particularité de pouvoir être utilisées indépendamment de toute appropriation.

2) Les choses sans maître

Ce sont les choses qui, actuellement, ne sont pas appropriées, mais qui sont appropriables.

Les immeubles sans maître appartiennent à l'Etat, mais il peut y avoir des meubles sans maître. Dans cette catégorie, on trouve les res nullius : le gibier, les poissons et l'eau de pluie ; il y a les res derelictae : les choses mobilières volontairement abandonnées et qui pourront être appropriées par ceux qui les recueilleront.

B/ Distinction à caractère économique

1) Les choses consomptibles et non consomptibles

Sont consomptibles les choses qui se consomment par le premier usage. Ce sont celles dont on ne peut se servir sans les détruire ou les perdre. Ainsi en est-il de la monnaie, des choses alimentaires, des choses qui servent au chauffage, etc.

2) Les choses fongibles et non fongibles

Les choses fongibles peuvent être remplacées les unes par les autres (exemple : la monnaie), on les appelle aussi choses de genre.

Les choses non fongibles, appelés aussi corps certains, sont des choses individualisées, déterminées.

3) Les choses frugifères et non frugifères

Les choses frugifères sont celles qui produisent des fruits. Les fruits sont donc des biens qui naissent périodiquement de la chose, sans en altérer sensiblement la substance. On y assimile les revenus produits par un capital, ou même par un immeuble (le loyer d'un immeuble est un fruit). Les fruits se distinguent des produits, qui sont des biens issus de la chose mais qui ne se reproduisent pas périodiquement, et épuisent la substance de cette chose : le bois du pommier coupé est un produit.

La volonté de l'homme peut parfois intervenir dans la distinction : les arbres coupés dans une forêt sont des produits, mais ce ne sont que des fruits si les coupes sont réglées de façon à maintenir constant le volume de la forêt.

Section 2 : Les biens incorporels

Sont des biens les droits patrimoniaux, c'est à dire ceux qui peuvent être évalués en argent. Sont des droits patrimoniaux les droits de créance, que l'on dit encore droits personnels, les droits réels (ceux qui portent sur une chose comme le droit de propriété) et les droits intellectuels.

La distinction des meubles et des immeubles convient aux choses (matérielles). Elles ne devraient pas s'appliquer aux droits pour lesquels le critère de la fixité n'a aucun sens. Cependant la loi en décide autrement : Les droits immobiliers sont strictement déterminés, et dès lors tous les droits qui ne sont pas immobiliers sont nécessairement mobiliers.

Il nous suffit donc de préciser quels sont les droits immobiliers : entrent dans cette catégorie des droits considérés comme immeubles par l'objet auquel il s'applique. Ce sont principalement les droits réels portant sur une chose immobilière (exemple : droit de propriété). Ont encore un caractère immobilier en raison de leur objet les actions en justice qui tendent à sanctionner les droits réels immobiliers (article 526 du code civil).

Chapitre 1 : La propriété

La décision du conseil constitutionnel du 16 janvier 1982 fait du droit de propriété un droit fondamental de valeur constitutionnelle. Il est garanti par la convention européenne des droits de l'homme, et plus précisément par l'article premier du premier protocole additionnel qui date du 20 mars 1952.

Ces garanties n'interdisent pas au législateur d'intervenir en matière de propriété, mais si la loi peut porter certaines atteintes à la propriété, c'est à la condition que celle-ci n'ait pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soit dénaturé.

Section 1 : Le contenu du droit de propriété

L'article 544 du code civil présente le droit de propriété comme le plus complet qui se puisse imaginer. Pourtant, cette affirmation de l'absolutisme de la propriété doit être nuancé.

I. La plénitude de la propriété

A/ Attributs de la propriété

Le propriétaire a des droits d'usage, de jouissance et de disposition. Il exerce sur la chose les droits les plus complets : il peut s'en servir (droit d'usage, usus), il peut également la mettre en valeur et faire siens les fruits et revenus qu'il en tire (droit de jouissance, fructus), et il peut encore transformer ou détruire matériellement la chose, et il peut transmettre son droit à autrui par des actes juridiques d'aliénation (droit de disposition ou abusus).

Le propriétaire a le droit d'exploiter son bien sous quelque forme que ce soit, ce qui comprend l'exploitation de l'image de la chose (pour en faire des cartes postales par exemple...). Est-ce à dire qu'il peut interdire à un tiers une exploitation de l'image du bien (par exemple par des cartes postales qui reproduiraient la photo de l'immeuble prise depuis la voie publique) ? La cour de cassation l'avait d'abord admis (arrêt Cass civ 1ère du 10 mars 1999), mais cette jurisprudence a été ensuite condamnée par l'assemblée plénière (Cass Plén 7 mai 2004). La cour retient que le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci, il peut seulement s'opposer à l'utilisation de cette image lorsqu'elle lui cause un trouble anormal.

B/ Etendue de la propriété

1) Propriété des fruits et des produits de la chose

Le droit de propriété s'étend à tout ce que produit la chose. Les produits proprement dit et les fruits, de sorte qu'au point de vue civil, la distinction des fruits et des produits est dénuée d'intérêt pour le propriétaire. Il en va autrement lorsque la propriété est démembrée en usufruit et nue propriété.

2) Propriété du dessus en et du dessous en matière immobilière

La propriété du sol emporte la propriété du dessus ou du dessous (article 552) : cela implique que le propriétaire peut se défendre sur les empiétements souterrains ou aériens qui causeraient une gène à son exploitation. L'article 673 du code civil l'autorise à couper lui-même les racines, ronces ou brindilles qui empiètent sur son fond et à faire condamner son voisin à ébrancher les arbres dont les branches surplombent son fond.

Attention : si le propriétaire a le droit de pratiquer des fouilles sur son terrain, sous réserve des restrictions légales en matière de fouille archéologique, il ne faut pas penser que sa propriété s'étende au sous-sol minier.

Le propriétaire a, en principe, le droit de planter et de construire sur son sol. Il est alors propriétaire des végétaux qu'il a planté et des ouvrages qu'il a fait. Mais il ne peut interdire le survol de sa propriété par les aéronefs sous réserve que cela ne porte pas atteinte à l'exercice normal de son droit de propriété (L 131-2 du code de l'aviation civile).

Il faut distinguer la propriété du sol et la propriété du dessus (le droit de superficie). Le propriétaire du sol peut céder à une autre personne le droit de superficie, c'est à dire le droit de construire et la propriété des constructions. D'après l'article 553, les ouvrages édifiés sur un terrain appartiennent au propriétaire du sol, mais cette présomption simple peut être combattue par la preuve contraire.

La concession d'un droit de superficie est temporaire. C'est la méthode utilisée pour l'emphytéose.

3) La propriété des eaux

Article 641 alinéa 1 : les eaux pluviales appartiennent au propriétaire du terrain sur lequel elle tombe. La source appartient au propriétaire du sol sur lequel elle jaillit, mais le propriétaire ne peut priver de l'usage de cette eau les habitants d'une agglomération auxquels elle est nécessaire.

Il ne peut pas davantage en détourner le cours à la sortie de son fond lorsque les eaux sont assez importantes pour former un véritable cours d'eau (article 633).

Le lit des petits cours d'eau (qui sont non domaniaux, qui ne relèvent pas du domaine public) appartient au propriétaire du fond qu'ils traversent ou, par moitié, au propriétaire riverain dont la rivière limiterait les fonds. Seuls les riverains peuvent user de l'eau de la rivière. Le propriétaire du fond qu'elle traverse peut même en détourner le cours à la charge de rendre l'eau, à la sortie de son fond, à son cours ordinaire (644).

Les lacs et les étangs appartiennent au propriétaire du terrain qu'ils recouvrent, mais les étangs salés en communication avec la mer appartiennent au domaine public.

La propriété des eaux est limitée, dans son exercice, par des dispositions légales destinées à assurer la protection, la mise en valeur et le développement de la ressource utilisable dans le respect des équilibres naturels.

C/ Perpétuité de la propriété

Le droit dure aussi longtemps que la chose sur laquelle il porte. La perpétuité est l'absolutisme dans le temps. Dès lors, une fois appropriée, la chose ne cesse plus d'être l'objet de propriété. Le titulaire peut changer, mais le droit se perpétue en se transmettant. La propriété échappe à la prescription extinctive, elle ne s'éteint pas par le non usage.

Il existe cependant des cas de transmission forcée du droit de la propriété. Le droit subsiste mais, changeant de titulaire contre le gré du propriétaire dépouillé, du point de vue de ce dernier il y a exception à la perpétuité de SA propriété.

Ces exceptions ne sont établies que dans l'intérêt public. La plus grave est l'expropriation pour cause d'utilité publique (article 545). D'autres atteintes résultent des lois sur les remembrements (article L 123-1 et suivants du code rural), de réquisition et de confiscation ou encore des nationalisations. Il existe quelques cas de perte de la propriété dans un intérêt privé, par exemple la cession forcée de la mitoyenneté.

II. Les restrictions à l'exercice du droit de propriété

Les restrictions au droit de propriété sont de simples limitation à l'exercice du droit de propriété. Elles ne portent pas atteinte à la substance de ce droit.

A/ Obligations positives imposées au propriétaire

On peut citer l'obligation de procéder au bornage et celle de clôturer. Le bornage consiste à déterminer, au moyen d'opérations d'arpentage, la limite des propriétés non bâties, et à la marquer par des signes matériels que l'on appelle des bornes. L'article 646 décide que chaque propriétaire foncier peut contraindre son voisin à procéder au bornage. L'opération se fait à frais communs.

Pour la vente des terrains à bâtir, la loi impose au vendeur de fournir un descriptif du terrain comportant un procès verbal de bornage (article L 111-5-3 du code de l'urbanisme).

L'obligation de clôture est spéciale aux propriétaires de terrains situés dans les villes et dans les faubourgs (ce qui exclut les campagnes (article 653 du code civil). La clôture doit consister en un mur dont la hauteur minimale est fixée par les règlements ou usages locaux. En l'absence de tel règlement ou usage, la loi la fixe à 3m20 dans les villes de plus de 50000 habitants et à 2m60 dans les autres villes.

Les deux voisins doivent contribuer à la clôture, qui est alors mitoyenne. La jurisprudence admet qu'un des copropriétaires du bien abandonne son droit de mitoyenneté.

B/ Les abstentions imposées au propriétaire

1) Théorie de l'abus de droit et des troubles du voisinage

a. Abus de droit

Le principe de cette théorie est aujourd'hui consacré par une jurisprudence fermement établie à partir d'affaires célèbres comme celle des dirigeables de Clément-Bayard (1915) ou celle des sources Saint-Galmier (1902).

Saint-Galmier : une entreprise exploitait les sources, et le voisin avait décidé d'installer un système de forage qui avait complètement tari les sources Saint-Galmier.

Clément-Bayard : au début du siècle, quelqu'un rangeait des dirigeables dans un hangar, et son voisin avait planté des bouts de bois pour crever les dirigeables.

Dans les deux cas la justice a considéré sous des formules variées que le propriétaire avait abusé de son droit et engagé sa responsabilité à l'égard des tiers. Elle a condamné à réparer le dommage en nature, dans un cas par la destruction des échafaudages et dans l'autre l'arrêt des affaires de forage. Cette jurisprudence est aujourd'hui constante. Le droit de propriété, malgré l'affirmation de son caractère, est donc susceptible d'abus : son exercice n'est donc pas discrétionnaire. Le critère jurisprudentiel de l'abus est celui de la thèse psychologique du critère intentionnel : c'est l'intention de nuire qui rend abusif l'exercice du droit de propriété. Plus précisément, le propriétaire abuse de son droit lorsqu'il l'exerce dans la seule intention de nuire à autrui.

Concrètement, la recherche des mobiles s'avérant difficile, le juge s'appuie sur deux séries de constatations matérielles (et donc plus objectives) : on trouve le dommage à autrui et le fait que l'activité dommageable soit dépourvue de toute utilité pour son auteur.

b. Les troubles de voisinage

Il s'agit d'une création purement prétorienne (jurisprudentielle). A la différence de la précédente, elle n'intéresse que les rapports de voisinage. En revanche, elle n'a pas seulement vocation à s'appliquer seulement dans les rapports entre propriétaires voisins ou entre copropriétaires, mais également entre un propriétaire et un locataire, ou même entre deux locataires ou collocataires.

Ce principe se traduit le plus souvent par la formule suivante : nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. On peut l'énoncer autrement : lorsque dans l'exercice de ses activités licites et normales, une personne cause à son voisin ou à son environnement un dommage qui excède la mesure des inconvénients normaux de voisinage, elle engage sa responsabilité à l'égard des victimes du trouble.

Les auteurs de trouble sont tous ceux qui gênent leur voisinage par l'émission de bruit, de fumée, de suie, d'odeur, de poussière, d'onde de choc, de vibrations, ou même des ébranlements néfastes aux nerfs des hommes ou aux fondations des murs, ou encore ceux qui confisquent le ciel et le soleil...

Cette théorie s'applique même si l'activité dommageable est utile ou même indispensable à son auteur. Elle s'applique encore si l'activité est licite. En effet le postulat de cette théorie est que le trouble n'est pas fautif : si le trouble est fautif, c'est de l'abus de droit.

Le trouble de voisinage répond à un critère objectif de résultat : c'est une activité qui cause un dommage à autrui. La seule condition pour que naisse l'obligation de réparer est que soit caractérisée l'anormalité du trouble.

Le débat se concentre sur l'anormalité du dommage. Le juge a pour unique mission de caractériser comme anormal le préjudice subi par le voisinage. Le juge a pour unique mission cette caractérisation. Le caractère éventuellement fautif du trouble n'est ni une condition nécessaire ni même suffisante de la responsabilité.

Le caractère excessif, anormal du trouble, doit s'apprécier en fonction des circonstances du cas et notamment de sa permanence. Le préjudice (de bruit, de fumée...), peut être dit anormal même s'il n'est pas de tous les instants. Cependant, le trouble n'est pris en considération, même s'il ne se produit qu'à intervalle, que s'il est installé de façon relativement continue est durable (ce qui veut dire qu'on prend en considération sa répétition).

Le dommage repose sur l'appréciation souveraine des juges du fond, mais la cour de cassation censure les erreurs de droit.

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