Histoire des institutions 26/02/08
B/ Les municipalités et les communautés d'habitants
Elles se mettent en place suivant l'évolution économique du royaume. Ce développement économique apporte aux villes la richesse, et ce poids économique des villes permet l'émergence d'un poids politique, et des conseils d'habitants se mettent en place. Ces derniers évoluent et se transforment en conseil des villes. Seuls les plus riches, seuls les grands notables vont exercer la gestion et l'administration des municipalités.
Ces notables ont pour vocation la défense des privilèges accordés à la ville par le pouvoir seigneurial obligé de composer avec le pouvoir politique des cités, privilèges qui sont regroupés de façon systématique dans les chartes d'émancipation. Ce pouvoir municipal n'est pas un pouvoir anecdotique : il se traduit tout d'abord par un pouvoir judiciaire, qui au fil du temps va être contesté par les justices royales, mais qui continue à être pratiqué. Un autre pouvoir est le pouvoir militaire et un pouvoir de maintien de l'ordre. C'est sous l'autorité du maire que s'organisent les milices bourgeoises, composées des habitants de la cité. C'est un pouvoir lui aussi en perte de vitesse mais qui continue à avoir une réalité au quotidien. Le troisième pouvoir est le plus important : c'est le pouvoir de police. On y retrouve des domaines clés de la vie de la cité : l'organisation et l'entretien de la voirie... On voit déjà apparaître les prémisses d'un droit de l'urbanisme. On retrouve également l'organisation des professions et des métiers, la réglementation du travail, les corporations. On trouve aussi la réglementation des marchandises : taxes, etc. Une autre manifestation du pouvoir de police administrative concerne la réglementation sur le vagabondage : ce sont là des pouvoirs des municipalités.
Les villes disposent de revenus importants : leurs domaines d'impôts explique cette capacité financière, et le poids politique des institutions.
Les municipalités vont cependant perdre de leur pouvoir, parce que le pouvoir royal va chercher à exercer un contrôle de plus en plus important. D'abord un contrôle financier à travers l'intendant, envoyé par le roi pour contrôler les finances des municipalités. C'est le roi qui choisit les hommes qui vont aller administrer les villes. Ce choix des hommes se caractérise par la mise en place d'offices, qui vont devenir des offices vénaux et héréditaires, et qui vont permettre la rentrée régulière de moyens financiers dans les caisses de l'Etat.
Mais le pouvoir royal s'attache à respecter les institutions municipales : il n'y aura jamais de conflit violent entre le roi et les villes, parce que le roi a bien compris que ce sont les villes qui représentent la richesse économique, indispensable au fonctionnement de la monarchie absolue.
A côté de ces villes on va retrouver, dans le monde rural, une autre circonscription de base qui porte le nom de communauté d'habitants. Ces communautés d'habitants se superposent aux paroisses religieuses. Dans chaque communauté d'habitants on retrouve comme organe principal une assemblée générale, qui offre la caractéristique d'être élue par les habitants. Cette assemblée, qui prend les décisions concernant la vie collective de la communauté, désigne en son sein des représentants destinés à assurer la permanence de l'administration, représentants qui portent le nom de syndiques.
Ces communautés se placent souvent sous l'autorité d'un seigneur, ou encore quelque fois sous l'autorité du pouvoir royal, représenté ici par l'intendant. Cet intendant va s'imicer dans la gestion des affaires de la communauté par la voie du contrôle financier.
Au 18ème siècle, on assiste pour ces communautés d'habitants, comme pour les municipalités, à un phénomène généralisé d'endettement (ce qui explique l'intervention de l'intendant). Cette perte de capacité financière, comme pour les municipalités, se traduit par une perte de pouvoir politique : municipalités et communautés d'habitants restent des contre-pouvoirs à l'absolutisme, mais en réalité cette fonction de contre-pouvoir est de plus en plus limitée.
III. L'opposition des Parlements
Cette opposition des cours souveraines s'explique par les compétences reconnues à ces institutions. Dans le cadre de l'exercice de la justice, c'est à dire dans le cadre spécifique du règlement d'une affaire, un Parlement peut disposer d'un véritable pouvoir réglementaire, voire d'un véritable pouvoir législatif. Ce pouvoir réglementaire, législatif, reconnu aux Parlements, prend la forme d'arrêts de règlement.
Ces arrêts de règlement vont poser, lors du jugement d'une affaire, une véritable règle générale et impersonnelle : c'est ce qui définit, caractérise la loi telle qu'on la conçoit aujourd'hui. ces arrêts de règlement peuvent intervenir dans tous les domaines, en fonction de la nature de l'affaire jugée. Ils peuvent intervenir dans le domaine civil, dans le domaine criminel, voire dans le domaine administratif, lorsqu'est mise en cause ce fameux pouvoir de police.
Il est évident que ce pouvoir réglementaire, législatif des Parlements, ne s'exerce pas de façon spontanée : il existe un cadre juridique nécessaire. Tout d'abord ces arrêts ne peuvent exister qu'à partir du moment où ils viennent combler le vide de la législation royale, ou de la coutume. En aucun cas ces arrêts de règlement ne vont pouvoir modifier une règle juridique déjà existante. C'est pour cette raison que ces arrêts de règlement sont appelées arrêts suplétoires. Cela implique qu'à partir du moment où le roi adopte une nouvelle loi, une nouvelle ordonnance, ces arrêts de règlement cessent d'exister, ce qui explique que ces arrêts de règlement sont suplétoires mais également provisoires : c'est toujours la législation royale qui s'impose.
Ce qu'il faut avoir à l'esprit par rapport à ce caractère provisoire, c'est que c'est un provisoire qui dure : dans un certain nombre de domaines le pouvoir royal a du mal à s'imposer, ce qui laisse dans ces domaines une part essentielle de création du droit aux Parlements.
Les arrêts de règlement ne s'imposent que dans le cadre territorial du Parlement : c'est une limite à l'importance de ce pouvoir législatif.
Ce qui explique le rôle d'opposition du Parlement, en plus des arrêts de règlement, c'est leur droit d'enregistrement des lois du roi. Il s'agit d'une arme politique de premier plan : pour qu'une loi soit appliquée, il faut absolument qu'elle s'accompagne d'une publicité, et l'enregistrement est une mesure de publicité. Concrètement, le texte de loi arrive devant le Parlement, qui va recopier ce texte de loi sur les registres du Parlement et en envoyer des copies aux juridictions inférieures.
Par cette procédure d'enregistrement, le Parlement se livre à une véritable relecture du texte, à un véritable « contrôle de constitutionnalité », au regard des lois fondamentales du royaume, au regard des privilèges reconnus par la loi et les coutumes qui préexistent. Ce contrôle des cours de justice se traduit éventuellement par l'existence de remontrances : lorsque le Parlement utilise son droit de remontrance, il refuse d'enregistrer le texte et bloque ainsi l'application de la loi et de la volonté royale, puisqu'une loi ne peut s'appliquer qu'après enregistrement. On voit ici tout l'intérêt politique que peut représenter ce droit de remontrance.
Ces remontrances peuvent être orales, mais le plus souvent elles prennent une forme écrite, et dans ces remontrances on retrouve formulés l'ensemble des griefs que le Parlement reprochent à la législation nouvelle.
Une fois les remontrances formulées, c'est au pouvoir royal d'en tirer les conséquences, avec la possibilité pour le roi éventuellement de s'incliner face à la volonté parlementaire. Cette solution n'est souvent que théorique : il est difficile d'imaginer que le roi, souverain absolu, revienne sur sa volonté suite aux pressions d'organes qu'il a lui-même choisi de mettre en place pour exercer de façon déléguée un pouvoir judiciaire qui lui appartient. Le roi de France, en réalité, ne cède jamais devant les remontrances.
Ce que la procédure applique, face à ce refus du pouvoir royal, c'est l'envoi par le roi d'une lettre de jussion, par laquelle le souverain enjoint au Parlement l'obligation de procéder sans délai à l'enregistrement de son texte. Face à la lettre de jussion, deux possibilités pour le Parlement : soit il cède et choisit d'enregistrer le texte de loi, et dans cette hypothèse on retrouve une formule juridique à la fin de l'enregistrement qui permet au Parlement de signifier son opposition au texte (à la fin du texte enregistré on trouve la formule suivante : « de l'expresse mandement du roi ») ; soit il continue à s'opposer à l'enregistrement, et oppose au texte ce que l'on appelle les itératives remontrances : il formule à nouveau des remontrances.
C'est alors à nouveau au pouvoir royal d'agir. Il ne va toujours pas céder, et va agir par la procédure du lit de justice. Concrètement, par le lit de justice, le roi ou son chancelier se déplace lui-même dans l'enceinte du Parlement, et il fait procéder en sa présence, de façon autoritaire, à l'enregistrement du texte de loi sur les registres du Parlement. Ce qui se passe avec cette procédure du lit de justice, c'est que le roi par sa présence (ou par la présence de son représentant), retire au Parlement son pouvoir judiciaire délégué, il redevient le titulaire effectif de la justice qu'il avait déléguée, et c'est à ce titre qu'il enregistre et fait enregistrer le texte de loi. C'est donc au bout du compte, à travers cette procédure qui peut être longue, le pouvoir souverain qui finit par imposer sa volonté.
Les Parlements sont obligés de s'incliner : même s'ils refusent d'appliquer les textes dans les mesures judiciaires, le roi par l'intermédiaire de son conseil peut casser ces décisions : c'est toujours le roi qui finit par s'imposer.
Par rapport à ce droit d'enregistrement, on peut estimer qu'il est obligatoire pour les Parlements. Les remontrances s'inscrivent dans la mission de conseil, mais ne doivent pas aller au-delà. Une deuxième vision politique de ce droit d'enregistrement est proposée par les Parlements : le droit de remontrance est un droit de légitime critique, et ne pas enregistrer un texte de loi est une possibilité qui doit être reconnue aux Parlements lorsque ces textes de loi ne sont pas en conformité avec les lois fondamentales et les privilèges.
Pendant la période moderne, ces deux positions ne vont cesser de s'affronter, de s'opposer, et en fonction de l'Etat du pouvoir royal (plus ou moins fort ou puissant), l'une des deux thèses va s'imposer. Quelques exemples historiques de cette opposition :
Sous les Valois, les Parlements, sous prétexte de remontrance, vont se mêler des affaires politiques, fiscales et religieuses du royaume. Cette opposition parlementaire s'inscrit dans une tradition politique issue de la période médiévale, tradition politique qui refuse l'absolutisme, qui se base sur le conseil et la justice. Cette opposition politique, sous les Valois, va assez loin : en 1525 le Parlement de Paris va émettre des critiques et des remontrances sur la politique en général du souverain (et non pas sur une ordonnance particulière !), celle de François Ier (qui vient de perdre une guerre politique et militaire contre Charles Quint).
En 1527, François Ier est libéré, revient de Madrid, et il répond au Parlement de Paris sous la forme d'un lit de justice qui se traduit par un règlement qui rappelle au Parlement qu'il est une cour de justice et qu'il doit donc se contenter de juger les procès qui lui sont soumis.
Pendant cette période, le Parlement prend du pouvoir et de l'importance, pendant les crises, notamment pendant les régences. C'est ainsi qu'en 1615, on voit apparaître des remontrances, fondées sur une légitimité historique des cours souveraines. Cette crise historique donne naissance à la théorie des classes, à savoir que pour les parlementaires les différents Parlements du royaume constituent les différentes parties d'un tout, c'est à dire les différentes parties d'un même et unique Parlement, un Parlement unique, indivisible, solidaire face au pouvoir royal. Un pouvoir d'empêcher fait son apparition dans les théories. On le retrouve sous la plume de Montesquieu (qui appartenait au parlement de Bordeaux).
Le 21 février 1641, il y a adoption d'un texte de loi, l'édit de Saint Germain, qui est une victoire pour le roi de France, puisque désormais les Parlements ne peuvent plus connaître les affaires qui sont relatives au gouvernement royal et à son administration, ce qui implique pour toutes les ordonnances relatives à ces matières seront enregistrées d'office par les cours souveraines. Le droit de remontrance continue d'exister pour tous les autres domaines législatifs.
En 1648, c'est l'affront parlementaire : les Parlementaires s'opposent à la régence de Mazarin et obtiennent la suppression du représentant du pouvoir royal au niveau local (les intendants dans les provinces).
Avec le règne de Louis XIV, le pouvoir royal prend l'ascendant dans ce conflit politique : en 1667 une ordonnance autorise les remontrances dans un délai de 8 jours, mais elles ne doivent pas se traduire par un amendement du texte de loi ou une interprétation de ces textes.
En 1673, une déclaration royale du 24 février impose purement et simplement l'enregistrement des textes. Le droit de remontrance continue à exister, mais ces remontrances ne sont présentées au roi qu'après l'enregistrement (autant dire qu'elles ne servent plus à rien).
A partir de 1673 et jusqu'à la fin du règne de Louis XIV, l'opposition parlementaire est donc réduite au silence. A la fin du règne de Louis XIV, il y a retour sur la scène politique des Parlements (1715). Louis XIV avait en effet réglé sa succession en imposant un conseil de régence où figure le régent officiel, celui que désigne les lois fondamentales (le duc d'Orléans), mais également deux de ses fils légitimés, pour contrôler ce conseil de régence. A la suite de ce testament le duc d'Orléans va s'allier avec les Parlementaires, l'idée étant que le Parlement va casser ce testament et donc le conseil de régence, que le duc d'Orléans va devenir le seul régent, en échange de quoi les parlements sont restaurés dans leur droit d'enregistrement et de remontrance.