Histoire des institutions 22/01/08
II. Les lois fondamentales du royaume
A/ La théorie des lois fondamentales
Ces lois fondamentales sont des lois de nature constitutionnelle : elles désignent un ensemble de principes directeurs, un ensemble de règles pour l’essentiel de nature coutumière, qui se sont donc formées de façon empirique tout au long du moyen âge, mais également pendant la période moderne. Ces normes, ces lois fondamentales, concernent tout à la fois la couronne et son statut, mais aussi le domaine royal. Ces normes supérieures forment un cadre juridique que le roi doit impérativement respecter, parce que, comme le rappellent les juristes, ces normes étant de nature supérieure, le roi se trouve dans l’heureuse impuissance de les modifier. Si le roi transgresse les lois fondamentales, la monarchie n’est plus une monarchie tempérée : le régime devient un régime tyrannique. Les lois fondamentales sont des lois coutumières, qui existent donc sur la base d’anciens usages mais également sur le fonctionnement traditionnel de la cérémonie du sacre. Cela apparaît dans la pratique du sacre à travers la formule des serments que prête le roi. Un exemple de cette évolution des formules du serment : le principe d’inaliénabilité du domaine. Ce principe finit par disparaître au 16ème siècle du serment du sacre parce qu’il est devenu véritablement une loi fondamentale, un de ces principes directeurs, une règle constitutionnelle. Concrètement ce principe est devenu un principe de droit positif reconnu par tous les juristes, une coutume constitutionnelle qui s’impose au roi et dont l’application est sanctionnée par le parlement car ce caractère obligatoire de la loi fondamentale impose l’exigence d’un contrôle institutionnel.
Les lois fondamentales sont, par essence, supérieures à l’autorité royale. Sur ce point, tous les théoriciens de l’absolutisme, de Bossuet en revenant jusqu’à Jean Bodin tous ces théoriciens sont convaincus de cette idée. C’est pour cette raison que l’on distingue de façon systématique ce que l’on appelle les lois du roi, qui sont les lois ordinaires, des lois fondamentales qui elles sont les lois du royaume, les lois de l’Etat.
Ces lois fondamentales, il existe des institutions destinées à les contrôler, à les conserver, à les sanctionner. Ces institutions ce sont les cours souveraines, ce sont les parlements. Parmi ces parlements, ces cours souveraines, un rôle particulier est réservé au parlement de Paris. Ce dernier va rendre de manière régulière, récurrente, des arrêts destinés à faire respecter les lois fondamentales face au pouvoir royal. Le parlement de Paris est privilégié même si tous les parlements de province se déclarent solidaire du parlement de Paris, même s’ils participent tous à la mission de contrôle des lois fondamentales. A travers ce pouvoir de surveillance des lois fondamentales, les parlements peuvent prétendre jouer un rôle politique et institutionnel toujours plus important dans cette période moderne ou l’Etat d’Ancien Régime continue à ce construire.
Le parlement de Paris, au début du règne d’Henri IV, rappelle dans un arrêt du 20 juin 1593 que les lois fondamentales du royaume soient gardées, et en rappelant
ce principe le parlement de Paris choisit comme successeur légitime à la couronne de France, en vertu des lois fondamentales, Henri de Navarre, qui deviendra Henri IV. Ce rappel aux lois
fondamentales se fait au détriment des prétentions du roi Philippe d’Espagne, qui veut faire élire reine sa fille, petite fille du roi Henri II, et candidate de la Ligue catholique. Rappel au
principe de masculinité, le Parlement de Paris est véritablement le gardien de ces règles constitutionnelles. Autre intervention du Parlement de Paris sur cette question des lois
fondamentales : à propos du traité de Madrid en 1525, le roi François Ier est prisonnier de l’empereur Charlequin, et au cours de sa captivité François Ier s’engage à céder à l’empereur la
Bourgogne. Ce qui est en cause ici est le principe d’inaliénabilité du domaine. Le parlement de Paris, dans une séance solennelle, sous la présidence du roi qui est rentré en France, le Parlement
de Paris frappe cette clause du traité de Madrid de nullité, au prétexte qu’elle est contraire aux lois fondamentales du royaume : c’est un arrêt du parlement de Paris du 10 décembre 1527.
Le Parlement de Paris va directement à l’encontre de la parole royale, il s’oppose à la volonté du roi, et traduit ainsi la supériorité effective des lois fondamentales.
B/ Les règles de succession : la dévolution de la couronne
Sans rentrer très en avant dans le détail des règles fondamentales, ce que l’on peut dire sur cette question est que pour la période moderne, la couronne se transmet dans la lignée légitime de Hugues Capet. La transmission se fait de mâle en mâle, les femmes et les parents par les femmes étant exclues de la succession (principe de masculinité). Ce premier principe de masculinité s’accompagne du principe de la succession par ordre de primogéniture.
La succession est donc directe, mâle : c’est le fils aîné qui accède à la couronne. Par contre, la situation devient plus complexe s’il n’y a pas d’héritier direct à la branche régnante. Dans ce cas de figure les loi fondamentales proposent que la couronne revienne au chef de la branche collatérale aînée, c’est à dire celle qui se rattache aux capétiens par l’ancêtre le plus proche du roi défunt.
En 1515, François Ier, qui est un Valois de la branche d’Angoulême, succède à Louis XII qui est son cousin de la branche des Valois Orléans. En 1589 a lieu un nouveau changement de branche dynastique : Henri IV, Henri de Navarre, succède à Henri III, la couronne passe donc dans la maison bourbon, et ce sont ces Bourbons qui vont conserver la couronne jusqu’à la révolution française. Toujours à propos d’Henri IV, son accession au trône permet de voir apparaître une nouvelle loi fondamentale : le nouveau principe qui est formulé est le principe de catholicité.
Jusqu’au XVIème siècle il ne s’était jamais posé de difficulté sur la question religieuse parce que le roi jusqu’alors régnait sur un royaume chrétien. Sa légitimité, son autorité, emprunte pour beaucoup à la religion (cérémonie du sacre qui fait du roi de France le ministre de Dieu sur terre). Au XVIème siècle la France connaît des difficultés religieuses avec la réforme, qui met en cause l’unité religieuse de la chrétienté, qui se divise maintenant entre catholiques et protestants. Avec la réforme on voit apparaître un principe nouveau qui vient d’Allemagne, qui veut que la religion du prince devienne la religion de ses sujets.
Ce principe apparaît en 1555 à la suite d’un accord entre l’empereur Charlequin et les princes réformés. Cet accord intervient lors de la paix d’Augsbourg. En France les rois sont traditionnellement catholiques. Pourtant question fait débat à partir de 1584 lorsque le successeur de la couronne est le prince de sang Henri de Bourbon, roi de Navarre, qui est le plus proche parent par les hommes dans le respect des lois fondamentales. Or Henri de Navarre est protestant : il appartient à la religion réformée. Il est même le chef du parti réformé.
Cette difficulté se traduit par une crise politique avec la constitution d’une seconde Ligue catholique en 1585, et lors de la mort d’Henri III Henri de Navarre n’est pas reconnu par une grande majorité de français du fait de sa religion. C’est du parlement de Paris que la solution de cette crise politique va trouver sa solution, grâce à un arrêt de 1588 que l’on connaît sous le nom d’arrêt Lemaître (du nom du premier président du Parlement). Dans cet arrêt Lemaître le Parlement rappelle que le seul successeur possible à la couronne est Henri de Navarre. Mais le Parlement précise également la nécessité pour le souverain du royaume de France d’être catholique. Henri de Navarre choisit de se convertir pour devenir roi de France. Il devient acquis que le roi de France, puisqu’il règne sur un pays catholique, ne peut professer d’autre religion que la religion de la majorité de ses sujets.
- François premier, en 1525, est prisonnier de Charlequin (captif à Madrid), et dans ces circonstances difficiles le roi de France émet le vœu d’abdiquer au profit de son fils le dauphin. Une fois encore c’est le Parlement de Paris, gardien des lois fondamentales, qui intervient en refusant l’abdication, parce qu’elle est contraire au principe d’indisponibilité de la couronne. Le parlement de Paris utilise la formule suivante : le principe d’indisponibilité de la couronne est un principe qui ne se résigne pas.
- Avec l’arrêt Lemaître, le parlement de Paris interdit aux Etats Généraux dominés par la Ligue catholique de tenter de remettre la couronne à un catholique. Le successeur légitime est Henri de Navarre et le parlement précise que nulle personne et nul corps ne peut revenir sur le principe d’indisponibilité.
- Le roi Charles II d’Espagne n’a pas de descendance : il choisit comme successeur le petit fils de Louis XIV, Philippe d’Anjou, qui devient donc roi d’Espagne sous le nom de Philippe V. Le problème qui se pose est que Philippe V d’Espagne est également un prétendant légitime à la couronne de France. C’est un successeur possible à la couronne de France. La situation laisse entrevoir une possible réunion des deux royaumes, qui n’est pas acceptable pour les autres puissances européennes, pour les autres monarchies. S’engage donc un conflit, militaire, la guerre de succession d’Espagne, qui va durer douze ans. Ce conflit finit par être perdu par la France. Cette défaite se matérialise par un traité, en avril 1713, et dans ce traité on retrouve un article qui prévoit que Philippe V s’engage à renoncer au trône de France. Cette renonciation est nulle juridiquement, au regard des lois fondamentales, et plus particulièrement au regard de la loi d’indisponibilité de la couronne. Louis XIV signe le traité, pour éviter la reprise du conflit, mais le parlement de Paris refuse d’enregistrer les clauses contraires au principe d’indisponibilité. La vigilance du parlement de Paris reste identique.
A propos du testament politique de Louis XIV : ce dernier a régné très longtemps (règne le plus long de l’histoire de France), et il a épuisé tous ses successeurs potentiels. Il ne lui reste plus comme successeur légitime que son arrière petit-fils, futur Louis XV. Le futur Louis XV est très jeune, et Louis XIV plutôt que de risquer de perdre le pouvoir, préfère remettre en cause les lois fondamentales. En juillet 1714 le roi de France prend l’édit de Marly. A travers ce texte de loi Louis XIV appelle à sa succession deux de ses enfants illégitimes, nés hors mariage, qu’il avait pris le soin quelques années auparavant, de légitimer. Cet édit de Marly, qui organise la régence et la succession, va être cassé par le Parlement de Paris, après la mort de Louis XIV. La succession s’inscrit dans le respect des lois fondamentales, après l’intervention du parlement de Paris. Louis XV est roi de France, et la régence est confiée à Philippe d’Orléans.
Les rois ne sont donc pas libres de disposer de la couronne, elle n’est pas un patrimoine, elle constitue la continuité du pouvoir et de l’Etat.
Primogéniture masculine, catholicité, indisponibilité de la couronne, ainsi que le principe secondaire de la majorité à 13 ans révolus (qui impose la mise en place d’une régence tant qu’elle n’est pas atteinte), sont donc les règles de dévolution de la couronne.
C/ Le statut du domaine ou les lois fondamentales relatives à la transmission du domaine
Le XVIème siècle apporte dans le domaine de l’indisponibilité de la couronne l’idée essentielle du caractère inaliénable du domaine, ainsi que son caractère imprescriptible, et ces deux principes restent aujourd’hui encore des principes qui s’imposent. Le roi reconstruit son pouvoir à partir de la féodalité. A partir d’un certain moment le roi de France n’est plus un seigneur comme les autres seigneurs. En 987 on va choisir Hugues Capet, petit seigneur d’Ile de France, pour devenir roi de France. On le choisit parce qu’il ne présente aucun danger pour les autres seigneurs, pour les grandes principautés, et au fil du temps cette monarchie élective se transforme en monarchie héréditaire, qui doit beaucoup au miracle capétien, qui permet à six générations de mâles d’accéder au trône. Cette permanence dynastique va permettre au roi de France au fil du temps d’accroître le domaine royal. Pour y parvenir, les capétiens vont utiliser des techniques féodales. Parmi ces techniques on trouve la commise, qui permet au roi de France d’incorporer son fief au domaine de la couronne lorsque le seigneur n’a pas respecter ses engagements. Autre technique : celle des alliances, par les mariages des rois successifs (exemple de la Bretagne). Pour accroître le domaine le roi a aussi la possibilité le rachat pur et simple d’un domaine, comme n’importe quel particulier. En 1100 le roi Philippe Ier rachète la vicomté de Bourges au vicomte de Bourges qui part faire les croisades. En 1349 le futur Charles V, alors qu’il n’est pas roi de France, achète la province du Dauphiné. Il s’agit de techniques traditionnelles, classiques, qui permettent d’accroître le domaine de la couronne.
La question de la propriété de ces terres du roi, sur lesquelles il exerce son pouvoir directement, va rapidement se poser. Et cette question de la propriété de ces terres, prend une nouvelle importance au XVIème siècle avec les changements de branche dynastique. Les juristes sont amenés à trouver des solutions. Au XVIème siècle la notion de domaine de la couronne va trouver une nouvelle définition : désormais le domaine est tout ce qui appartient au roi, non pas en tant que personne mais en tant que roi, en tant que titulaire de la couronne, qui personnifie l’Etat. Ce XVIème siècle à cet égard marque un tournant définitif avec la conception patrimoniale de la couronne. Au XVIème siècle, ce domaine est constitué à la fois de biens et de droits. Des terres mais aussi des prérogatives régaliennes comme la levée d’impôts et de taxes. Ce domaine est déclaré inaliénable par les juristes.
Au moyen âge, le fondement de cette inaliénabilité du domaine est féodal. Cela signifie que les habitants, d’un pays cédé à la suite d’un conflit malheureux, sont liés au souverain par un lien personnel, qui constitue le contrat féodal. Cela implique que la cession d’un territoire entraîne autant de ruptures de liens féodaux qu’il y a de contrats féodaux. Et à moins que les populations soient consultées et se prononcent en faveur de la cession, le domaine reste un domaine inaliénable. Le roi Saint Louis est obligé de restituer au roi d’Angleterre les territoires conquis par Philippe Auguste. A l’inverse, mais toujours sur les mêmes fondements juridiques, Jean II est contraint sous la pression militaire de céder à Edouard III d’Angleterre tous les territoires du sud ouest de la France. Ce traité est refusé par les Etats généraux, car les seigneurs des pays concédés objectent qu’ils ne peuvent être obligés de rendre hommage au roi d’Angleterre alors qu’ils ont déjà contracté un engagement personnel à l’égard du roi de France. Ceci constitue le fondement féodal du principe d’inaliénabilité du domaine.